À CHAQUE JEU, SON VISUEL

Les critiques de jeux de société abordent souvent la question du « visuel » d’un jeu. Quels sont les éléments pris en compte lorsqu’on parle de « visuel »?  À quoi sert-il ? Est-ce que de belles illustrations font que le visuel d’un jeu soit réussit?

Le choix des créateurs concernant l’esthétisme de leur jeu est loin d’être laissé au hasard et est bien plus complexe que nous pouvons le penser au premier abord. Voyons de plus près trois aspects importants à prendre en considération concernant le style graphique d’un jeu : le marketing, le caractère immersif et l’aspect utilitaire.

Le marketing

La boîte d’un jeu est le premier contact entre le créateur et le futur joueur. La première impression est donc primordiale. L’équipe d’édition veut que vous achetiez le jeu et que vous aillez envie de découvrir ce qu’il y a à l’intérieur.  Pour ça, il faut que vous vous reconnaissiez dans le design et que vous vous dites : « ce jeu là est clairement fait pour moi », et ce, avant même d’avoir lu l’endos de la boîte (ou d’avoir lu un article sur Passion Boardgame!) Le style graphique avec le choix des couleurs, les contrastes, la complexité visuelle, et même, le format de la boîte donne tout de suite des indices quant au ton et à la complexité du jeu.

Sushi Go! de Phil Walker-Harding

Dans cet ordre d’idées,  si j’ai envie d’un jeu simple et accessible, il y a de bonne chance que je sois visuellement attirée par un jeu tel que Sushi Go.

Puerto Rico d »Andreas Seyfarth

Avec une petite boîte, facile à transporter, composée de couleurs vives et contrastées  avec des sushis tout mignons et caricaturés en petits personnages, nous savons que nous avons affaire à un jeu léger, voire rigolo. Surtout si nous le comparons avec une boîte comme celle de Porto Rico, qui nous indique déjà un jeu plus élaboré par la grosseur de la boîte.

Porto Rico, composé de couleurs plus sobres se situant dans les beiges, bruns et bleus, arborent un ton plus sérieux. Le graphisme est aussi plus réaliste avec l’illustration d’un embarquement portuaire. Bref, nous nous attendons à un jeu plus «mature», voire plus complexe. Certains connaisseurs et amateurs de boardgames de type «à l’européenne» y verront même un jeu qui s’adresse davantage à eux.

Le caractère immersif

L’expérience de jeu d’un joueur se compose d’une multitude d’éléments, tels la mécanique, la fluidité, l’originalité, le thème, le matériel, etc. Le caractère immersif fait assurément partie de ces éléments, où le visuel a un rôle central.  Le choix des couleurs, le degré d’élaboration et la complexité des illustrations, la diversité et la quantité des illustrations, le design du matériel (autant pour les éléments 2D que 3D) participent tous à créer une ambiance.

Prenons pour exemple Mysterium.

Musterium par Oleksandr Nevskiy et Oleg Sidorenko.
Quelques cartes de Mysterium

Avec ses teintes froides et foncées, l’esthétique contribuent à créer une ambiance sombre, voire mystérieuse (ben oui, comme dans mysterium en latin).  En plus, les teintes ne se limitent pas aux cartes, mais aussi à la boîte du jeu et au livret de règlement. Bref, tout du point de vue visuel nous amène vers cet univers sombre. Avec le paravent imposant et les plateaux qui représentent un vieux manoir obscur à la Edgar Allan Poe, les joueurs sont faits prisonniers, le temps d’une partie, d’une pièce de ce lieu hanté…

L’aspect utilitaire

Une fois que le jeu est acheté, que la boîte est ouverte et que nous sommes plongés dans l’univers, il faut que le visuel favorise la jouabilité même du jeu. Il faut que l’esthétisme favorise la compréhension et la lisibilité, voire réponde à des besoins essentiels des mécaniques du jeu. Par exemple, il sera impensable de ne pas retrouver des formes de wagons sur le plateau des Aventuriers du Rail nous indiquant les couleurs et le nombre de wagons à placer entre deux villes. Je vous laisse comparer la version officielle à celle absolument impensable que je vous ai griffonné.

Les aventuriers du rail d’Alan R. Moon
Version non efficace de ce qu’aurait pu avoir l’air les Aventuriers du rail

 

 

 

 

 

 

 

 

Five Tribes de Bruno Cathal

Un autre exemple de visuel essentiel à la lisibilité se perçoit dans Fives Tribes. Le jeu est composé de tuiles déjà chargées visuellement, il serait difficile d’ajouter des jetons 2D de « palmiers » et de « Palais » sans nuire à la lisibilité. Il est donc particulière bien pensé d’avoir ajouté des pions 3D de palmiers et de palaces qui allègent le visuel et indiquent rapidement au joueur sur quelles tuiles ils sont situés.

Bref, la prochaine fois que vous gamerez, penser à regarder aux choix esthétiques des créateurs. Rien n’est laissé au hasard (généralement!)

 

Pour terminer, voici deux  jeux dont je trouve le visuel particulièrement réussi :

Hit Z Road

Hit z Road de Martin Wallace

Chaque détail visuel est réfléchit et ça paraît. Les créateurs ont pensé au joueur, car les clins d’œil sont multiples (Allô Fallout et Walking Dead!) Les cartes sont toutes différentes  et travaillées, même leur endos ne sont pas identique (Allô aux clins d’œil à 7Wonders, Dixit , Ticket to ride … ) Le jeu pousse au maximum l’idée que le matériel vient d’avant l’épidémie et qu’il a été adapté pour Hit Z Road créé par le personnage de Martin qui commente diverses « photos » et qui écrit le livret de règlements.

Bref, un jeu qui met le paquet dans le caractère immersif et ça réussit!

 

 

 

 

Abyss

Abyss de Bruno Cathala

Ce n’est pas particulièrement original de mentionner Abyss, mais je ne vois pas comment je pourrais faire autrement. D’abord, la boîte met TOUTE la place au visuel qui est à couper le souffle. En plus, les créateurs ont eu l’idée de faire cinq couvertures de boîte différentes (une pour chaque faction). Bravo à l’aspect marketing qui va chercher l’intérêt de certains collectionneurs!  Sinon, les couleurs froides et sombres donnent l’ambiance et le ton du jeu. Le plateau, quant à lui,  nous plonge visuellement dans une arène où l’on sent le volet politique des parties. Il y a aussi une diversité : les lieux et les seigneurs sont tous uniques et magnifiquement illustrés.  Je ne dirais pas que tous les jeux sont des œuvres d’art, mais je pense qu’Abyss mérite amplement ce titre.

Abyss de Bruno Cathala

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parce que certains jeux ont des choix douteux…  En voici  deux qui seraient avantagés à être refaits avec un visuel plus intéressant :

Twin Tin Bots de Philippe Keyaerts

Twin tin Bots

Bon, vous voyez les photos. Je vois mal quoi ajouter du plus. Si l’on oublie le matériel qui laisse à désirer et nous donne franchement une impression de «bébelles», la boîte est fade et nous laisse penser à un vieux jeu un peu enfantin (ce qui ne se règle pas lorsqu’on l’ouvre).  Les couleurs en aplats, vives et simples (surtout primaires et secondaires) donnent un ensemble simpliste qui ne crée pas d’ambiance particulière, ni de cohérence avec la thématique proposée (les robots).

Twin Tin Bots Philippe Keyaerts

 

 

 

 

 

Vendredi

Un excellent jeu qui mériterait que l’on refasse le visuel pour rendre justice à cette pépite dans la catégorie «solo». Esthétiquement, c’est enfantin, ce qui ne reflète pas du tout la complexité de Vendredi. De plus, le personnage de Robinson Crusoé est laid.

Vendredi de Friedemann Friese

Et vous, quels sont les jeux que vous trouvez particulièrement pertinents sur le plan visuel? En connaissez-vous qui mériterait d’être retravaillés?

Auteur: Café L’Aléa

Pier-Alexandre et Emmanuelle sont deux passionés de jeux société. À tel point qu’ils ont ouverts un café ludique à Saint-Georges.

Share Button

3 thoughts on “À CHAQUE JEU, SON VISUEL

  1. Super article! 🙂 J’adore particulièrement le visuel d’un jeu comme T.I.M.E. Stories, les diaporamas sont très immersifs pour les joueurs lorsqu’ils explorent de nouveaux lieux. Sinon je pense aussi qu’un jeu comme Mystérium est super visuellement avec plusieurs détails sur les cartes ainsi que des concepts abstraits qui laissent place à beaucoup d’interprétation de la part des joueurs. Ce sont mes deux coups de cœur pour des jeux avec un visuel qui décoiffe! 😉

  2. Super article et il est vrai qu’un visuel intéressant peut amener une meilleure note à certains jeux. Par exemple, le jeu Anachrony et Scythe ajoutent beaucoup à l’immersion du jeu en raison de l’aspect artistique. Par contre, je vais être le défenseur de Vendredi. Je sais que je suis en minorité ici, mais j’aime bien son aspect visuel. Robinson a l’air un peu perdu et c’est ce que nous tentons de faire avec le jeu… le rendre plus apte à combattre des pirates. Je sais que plusieurs n’aiment pas le visuel de Vendredi, mais de mon côté, je trouve que ça ajoute un peu à l’histoire. Merci pour les réflexions !

  3. Excellent article !!
    Très belle réflexion sur l’esthétique ludique où l‘approche artistique peut se heurter à la démarche mercantile. On peut dire que la plateforme Kickstarter a permis à de nombreux jeux de sortir des sentiers battus et des canons classiques des visuels de jeux de société pour offrir une approche artistique plus clivante. J’imagine que de nombreux jeux issus des plateformes participatives se seraient peut-être vus rejeter par certains éditeurs.
    Certains jeux comme Abyss et Mysterium ont des illustrations magnifiques et ont bénéficié d’illustrateurs talentueux, mais je suis plus attiré par des visuels qui m’apportent une plus grande émotion artistique.
    C’est donc totalement subjectivement que mes coups de cœurs artistiques vont vers « Ancient Terrible Things » illustration de Rob Van Zyl, « Tokaido » illustration de Naiade et « Grifter » illustration de Stephanie Gustafsson et Jarek Nocoń. Trois styles très différents et trois approches qui me parlent.
    Un petit dernier, dont le dessin illustre parfaitement son thème, et qui est actuellement en court de financement sur Kickstarter: « Barker’s Row » dessins de Andrea Olgiati.

Laisser un commentaire